La gestion des talents au sein d’une entreprise sans manager

Interview d’Alexandre Delmas, cofondateur de Fly the Nest

Interview réalisée par Willem Rodier, cofondateur de flowbow


Alexandre, peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Alexandre Delmas, je suis philosophe et coach de formation. Le “combat” que j’ai choisi dans la vie professionnelle, c’est : « ré-humaniser le monde de l’entreprise ».

J’ai choisi d’accomplir cette mission en activant deux leviers :

  • un levier sur la partie organisationnelle, j’appelle ça le “design organisationnel”, c’est-à-dire comment créer et adapter des systèmes managériaux et des process qui permettent d’avoir des organisations plus humaines.
  • le deuxième levier est l’accompagnement individuel. En tant que coach certifié je m’attèle à permettre aux individus de mieux vivre dans certaines situations et/ou certains systèmes organisationnels plus ou moins déshumanisés.

Durant mon parcours, je me suis d’abord intéressé à l’innovation RH. J’ai passé 5 ans chez Le Lab RH pour accompagner la création et le développement de cette association qui avait pour objectif de faciliter l’accès à l’emploi et de promouvoir le bonheur au travail. Plus récemment,  j’ai rejoint Fly the Nest.


Même exercice…avec Fly the Nest !

Fly the Nest existe depuis 5 ans maintenant, on a pu accompagner un peu plus de 250 organisations, majoritairement des start-up, mais également des grands comptes car on s’occupe aussi de l’intrapreneuriat en entreprise. On travaille également avec quelques entreprises en pro bono afin d’accompagner des projets « coups de cœur » sans ressources financières suffisantes.

Fly the Nest est spécialisé dans l’accompagnement au « scale ». On accompagne principalement des start-up, mais pas seulement, à la gestion de leur croissance et de leur hypercroissance. C’est un accompagnement longue durée sur deux volets : individuel et collectif. A l’échelle individuel, on permet le développement du leadership des dirigeants via du coaching notamment, et plus globalement de tous les collaborateurs par de la formation à nos méthodes. Côté collectif, on réinterroge le modèle organisationnel de l’entreprise en partant de sa raison d’être et des valeurs des individus qui la composent.

L’écosystème Fly compte 23 personnes, on a profité du confinement pour créer plusieurs entités :

  • Sillages, une entité spécialisée dans l’accompagnement des projets à impact ( économie sociale et solidaire, économie circulaire,  RSE …)
  • Transmission (le nom n’est pas définitif) , entité dédiée à la formation. Nous avons un vrai désir d’autonomie pour nos clients, c’est-à-dire que lorsque l’on accompagne des entreprises, on forme quelques salariés à nos savoir- faire et nos savoir-être pour qu’ils soient autonomes.
  • La troisième entité, qui est en train de se créer à l’heure où je te parle, sera centrée sur l’accompagnement individuel. A l’origine Fly the Nest accompagne d’abord les collectifs avec un peu d’individuel et nous avons eu envie d’aller plus loin sur cette dernière partie.

Bref on parle plus de l’écosystème Fly car je ne pense pas que l’on va s’arrêter là !

Est-ce que tu peux nous parler des valeurs et du modèle organisationnel chez Fly the nest ?

Chez nous, les valeurs ont un sens, c’est-à-dire qu’une valeur qui n’est pas incarnée n’a tout simplement pas lieu d’être.

Chez Fly the Nest, on a une raison d’être qui est “accompagner la réalisation des visions individuelles et collectives en accord avec leur environnement” et on est tous au service de cette raison d’être. C’est le fil rouge entre toutes nos entités.

Nous avons également 5 valeurs qui ont été co-écrites par tous les collaborateurs avec une fiche d’identité pour chaque valeur qui regroupe les comportements souhaités liés à cette valeur, ainsi que les comportements abhorrés. On y ajoute également quelques illustrations pour parler à tous les formats de cerveaux. Par exemple, on a un GIF animé qui retrace l’évolution des Pokémon, et qui pour nous signifie “progresser en toutes circonstances”. Et enfin il y a toujours les pratiques organisationnelles qui incarnent ces valeurs.

Pour résumer, tous nos projets RH : le recrutement, la formation, la mobilité, la qualité de vie au travail, l’évaluation… s’effectuent dans le cadre de ces valeurs là.  Ensuite, on a un modèle organisationnel qui est un peu particulier puisque l’équipe compte 23 co-fondateurs et lorsque l’on recrute quelqu’un, on le recrute également en tant que cofondateur.


Comment fonctionnez-vous au sein de Fly the Nest?

C’est très simple, on a décidé qu’on serait “les cordonniers les mieux chaussés” et donc on a appliqué et on testé sur nous tout ce que l’on fait chez nos clients. Notre pilotage repose sur l’envie, l’engagement, une roadmap définie, une vision court terme, moyen terme et long terme.

La vision court terme, c’est le focus, ce sur quoi on va passer 80% de notre énergie et de nos ressources financières, temporelles… sur les prochains mois. En général, notre court terme est entre 5 à 8 mois.

La vision moyen terme est plutôt comprise entre 1 à 2 ans chez nous , c’est l’étape intermédiaire, on appelle ça  la “zone d’abandon”, il faut accepter que les enjeux moyens termes ne soient pas le focus, elles ne seront pas traitées maintenant. ça peut être plus dur qu’il n’y paraît !

Enfin, la vision long terme va jusqu’à 5 ans ou 10 ans et a une valeur purement inspirationnelle, sans nécessairement donner lieu à des indicateurs ou des objectifs précis.

Tous les 6 mois donc, on fait le bilan,  on se demande si notre moyen terme devient notre court terme ou pas, et on reconstruit la roadmap en fonction de la nouvelle vision qu’on a décidé d’adopter. C’est pendant ces séminaires là qu’on peut aussi redéfinir les rôles de chacun.


Nous allons nous intéresser à la gestion des talents dans une entreprise “libérée” donc comme Fly the nest, assez unique je trouve dans l’écosystème des start-ups RH. Commençons par le début, le recrutement ! Comment cela se passe chez vous ?

Haha ! assez unique je ne sais pas, car nous sommes tout de même quelques uns à avoir adopter le modèle dit Opale si on se réfère à Laloux, mais il est vrai que l’on a poussé le modèle assez loin.

Le recrutement chez nous dure longtemps, le miens a duré plus de 6 mois et j’ai passé plus de 6 entretiens pour être recruté en tant que cofondateur. Une telle temporalité n’est pas toujours le cas, mais c’est toujours engageant.

Il faut avoir en tête qu’on recrute des cofondateurs. Cela implique qu’à partir du moment où la personne signe son contrat de travail, on lui donne les clés du compte en banque. Cette personne aura, au sein de l’organisation, autant de pouvoir décisionnel qu’un fondateur originel. Enfin en théorie. Effectivement, quelqu’un de plus ancien a tout de même plus d’influence sur le groupe la plupart du temps, ce qui est plutôt logique au vu de son ancienneté et de ses réussites.

Pour ne pas se louper, on recrute en grande partie sur nos valeurs et ensuite seulement on filtre sur les compétences.

A partir du moment où une personne rentre dans le processus de recrutement il y a un/une cofondateur/trice de Fly the Nest, que l’on appel une “cigogne” qui est là pour accompagner le candidat, le préparer à passer toutes les étapes de recrutement. Il faut donc que la personne trouve un cofondateur qui croit suffisamment en elle pour l’accompagner durant toutes les étapes.

En tant que coach je dirai que notre processus de recrutement est presque construit comme un coaching dans le sens où, pour chaque personne qui rejoint notre process, il y a un gros travail d’introspection à faire, pour qu’elle soit sure de se connaître suffisamment afin de savoir si elle sera capable de s’épanouir ou non au sein de notre organisation.

On a également une valeur qui est “ choisir d’être utile à l’autre” qu’on a décidé d’intégrer dans ce processus. Quelque soit l’étape à laquelle s’arrête le candidat, il repart avec quelque chose d’utile pour lui, car on part du principe que se connaître mieux n’est jamais inutile.

Quelles sont les étapes et comment décidez-vous qu’un processus de recrutement s’arrête à telle ou telle étape?

Tout d’abord, il y 3 grandes étapes : La rencontre avec la découverte et le matching qui nous permet de savoir si la personne est en accord avec notre raison d’être ou non, ainsi que sa conscience à s’intégrer dans notre modèle organisationnel particulier.

La deuxième phase s’appelle la phase d’alignement qui va comporter 3 volets : un volet sur la culture, un autre sur le cœur de métier de Fly the Nest et enfin un dernier sur la vision, qui est un entretien où l’on va demander à la personne de se projeter vers des visions long terme pour justement savoir si elle pourra réaliser ses visions grâce à l’entreprise.

La dernière étape est optionnelle, on la met en place si un membre de l’équipe émet des doutes. Si c’est le cas, on rentre dans la phase d’acclimatation qui permet aux personnes ayant des doutes de s’exprimer et de pouvoir en faire part au candidat via sa “cigogne”.

Idéalement, on aimerait que ce soit la personne qui décide si elle “se recrute” ou non. On aimerait ne pas avoir à nous prononcer nous-même. Dans la pratique, pour rentrer chez Fly the Nest, il faut réussir à convaincre 3 cofondateurs qui sont prêts à être tuteurs de la personne.

Je crois savoir que vous avez aussi une façon d’évaluer et notamment de décider des augmentations…originales. Peux-tu nous en parler ?

En rejoignant Fly the Nest, on va demander à la personne recrutée de “faire un effort”. En rejoignant une start-up, il faut accepter d’avoir un salaire de startuper les 6 premiers mois (environ 2000 euros net par mois pendant 6 mois quelque soit ton ancienneté). Pourquoi 6 mois ? Parce qu’on estime qu’il faut 6 mois pour apprendre notre métier de fond en comble, aussi bien l’organisation interne que le métier client.

Au bout de 6 mois la personne devient cofondateur/trice à part entière et dois effectuer sa première “sollicitation d’avis” qui porte sur son salaire, son avenir au sein de l’organisation, et une auto-évaluation suivant notre “arbre de compétence”. En tant que cofondateur/trice, après sollicitation, la personne émet une proposition de salaire. Si elle n’est pas “acceptée” par l’ensemble des “birdies”, elle peut l’imposer (mais cela peut générer des tensions). Au sein de Fly the Nest, chacun sait exactement combien il coûte à l’organisation et combien il lui rapporte.

Comment se passe l’évaluation au sein d’une entreprise telle que Fly the Nest ?

On prend des engagements auprès de nos  pairs tous les 6 mois avec des axes d’améliorations. Pour atteindre ses objectifs, on peut aller demander de l’aide à n’importe qui et choisir des mentors internes qui vont nous accompagner sur notre programme de montée en compétences. A partir de là, les mentors et les mentorés vont définir ensemble les trois grandes thématiques sur lesquelles ils veulent travailler et ils vont co construire tous le programme d’accompagnement (en général au moins une séance d’1H30-2h par mois).

On a aussi très vite instauré le coaching, et référencé une équipe de coachs externes. On a très vite compris que le coaching était très important, donc Fly the Nest a décidé de payer les coaching de ceux qui le souhaitent. On a 2 coachs en interne, dont je fais partie, mais il nous est impossible de coacher nos pairs.

Comment se déroule la mobilité interne (le fait d’échanger de job au sein d’une même entreprise) chez vous ?

Comme précisé à chaque atteinte de notre court terme (5 mois), on rabat les cartes et on réattribue les rôles nécessaires au bon fonctionnement de la structure. On fait tous le même métier chez Fly The Nest (cofondateur) mais en réalité il existe plusieurs pôles chez nous : la communication, les fonctions commerciales, la logistique, le développement de nouvelles connaissances et pratiques… Chacun de ses pôles est administré par un “chef de guilde” qui œuvre avec son équipe pour atteindre les objectifs fixés. Il est donc facile d’apprendre et de se spécialiser dans plusieurs domaines comme la communication, le marketing ou la vente.

Pour le reste, on fonctionne avec un système qu’on appelle “la sollicitation d’avis”, quelque soit la décision qu’on veut prendre dès lors qu’elle impacte le collectif. Par exemple, si je veux prendre une décision, il faut que je m’interroge : “Qui cette décision va-t-elle impacter?” et donc demander l’avis à toutes les personnes impactées par cette décision. Ce système permet d’éviter le consensus mou, c’est une gestion par consentement et non par consensus. Autrement dit, tout le monde peut émettre un avis, les objections doivent être traitées, mais la personne qui prend la décision peut aller contre l’avis des personnes qu’elle va impacter, sans évidemment mettre en péril la structure. Une personne qui veut par exemple effectuer une mobilité vers notre antenne Nantaise, passera par cette “sollicitation d’avis”.

Un dernier mot à ajouter ?

Le nouveau challenge auquel on est confronté est celui de notre écosystème. Outre le fait de créer une fondation qui détiendrait 100% de nos différentes structures, c’est la mobilité inter-grappes (Paris, Nantes, Sillages) qui nous occupe. Beaucoup de personnes veulent changer de grappe donc on est en train de construire des processus pour accompagner la mobilité des personnes qui le souhaitent. Comment partir dans les meilleures conditions et intégrer une autre grappe facilement. C’est en quelque sorte du recrutement interne, et c’est assez excitant à vivre !

Articles similaires