Nouvelles pratiques RH

Formation et employabilité au temps du COVID

Interview de Johanna Sadoudi, experte en formation au sein de grands groupes internationaux.

Interview réalisée par Jonathan Piarrat, cofondateur de flowbow.


Bonjour Johanna, pourriez-vous vous présenter en quelques lignes ?  

Bonjour Jonathan, j’ai 17 ans d’expérience professionnelle. J’ai une formation initiale d’enseignante de Français Langue Etrangère & d’ingénieure pédagogique FOAD et je suis également certifiée coach (avec des approches telles que l’Analyse Transactionnelle, l’Elément Humain et l’Approche Stratégique de Palo Alto) et horse coach.

Après avoir exercé des fonctions Learning & Development chez Total, l’Institut Français du Pétrole et L’Oréal, j’accompagne depuis 8 ans les grands groupes dans leur transformation via des stratégies de changement et de développement des compétences, au niveau individuel, collectif & organisationnel, à distance et en présentiel.

Aujourd’hui, on parle de plus en plus de carrières “non linéaires”, de parcours professionnels avec des changements d’expertise, de secteur d’activités de plus en plus fréquents chez les salariés.

En quoi la formation a-t-elle un rôle à jouer dans ce phénomène d’après vous ?  L’avez-vous vécu chez vos clients ?  

On parle depuis des années du 70/20/10. Oui, la formation en tant qu’unique développeuse de carrière n’est pas suffisante. Elle se doit d’être accompagnée d’une mise en pratique sur le terrain. Elle doit être intégrée au sein des parcours de carrière comme un levier d’accompagnement. Elle peut soutenir la sécurisation de mobilité majorante, accompagner la mise en place de « vis ma vie », stages route, organisation de dispositifs de tutorat, mentorat ou encore de shadowing. Elle peut aussi donner du sens à une transformation en cours et soutenir la montée en compétences des collaborateurs. Le meilleur exemple étant les « digital days » & parcours qui ont fleuri dans les entreprises ces dernières années. Le tout en lien avec la planification stratégique des effectifs.

La formation est essentielle pour :

  • Redonner la main au collaborateur : plus de visibilité, plus de proactivité, moins de mobilités subies.
  • Ouvrir des perspectives. A la fameuse question « où vous voyez-vous d’ici 3-5 ans ? », la réponse semble bien plus aisée à 30 ans qu’à 50. La formation, main dans la main avec les équipes carrière, doit permettre de redonner vision et autonomie au collaborateur pour qu’il développe la connaissance de ses talents, le comblement de ses faiblesses au regard de la vie professionnelle qu’il souhaite avoir.

La formation est-elle vue/vécue par vos clients comme un moyen d’accélérer une carrière ou d’en développer une ?  Pourquoi ?

Le learning est une des clés pour accompagner le développement d’une carrière puisque qu’est-ce qu’une carrière si ce n’est faire correspondre mes compétences et mes envies aux besoins stratégiques de l’organisation ? Mais, il ne peut l’accélérer que dans une moindre mesure puisque la carrière se constitue également de l’expérience et de la maturité acquise sur la durée de la pratique. Comme me l’a dit un collègue un jour : « on ne fait pas pousser une carotte en tirant sur les fanes ».

Je dirais que je vois 3 catégories de solutions de développement chez mes clients :

  • Celles qui maintiennent le collaborateur employable dans un contexte de transformation : ce sont les solutions qui lui permettent de développer des compétences remplaçant celles devenues obsolètes (reskilling)
  • Celles qui élargissent le champ des possibles en termes de carrière (upskilling)
  • Celles qui facilitent les carrières et qui sont plutôt liées aux soft skills avec des solutions telles que le coaching individuel ou le codéveloppement.

Le milieu de la formation a connu dernièrement plusieurs réformes et a aussi essuyé de multiples critiques (retour sur investissement flou, budgets alloués très importants sans résultats concrets sur le chômage ou la montée en compétences, vision du formateur un peu “vieillissante”, etc.).

Si vous aviez à définir en quelques mots la formation du futur, que diriez-vous ? Pourquoi ?

Je crois qu’il convient de regarder la formation sous plusieurs angles :

  • Quel rôle pour la formation dans un contexte VUCA & de transformation permanente ?
  • Pourquoi (se) former ?
  • Comment développer l’apprenance, l’agilité & l’employabilité des collaborateurs ?
  • A quoi les former ? Comment ?
  • Dans cette vision, qui forme et quelle posture ?

Apprendre, c’est un état d’esprit, quotidien, de curiosité, de prise de recul sur les challenges que j’ai vécus et sur ce que j’en ai appris : techniquement et aussi sur moi, les autres, l’organisation. Je suis vigilante à la formation « consumériste » : enchaîner les formations fait-il de moi un bon professionnel ? Je peux savoir, mais est-ce que je mets ce savoir réellement en application ? Suis-je congruent ? L’exemple qui me vient c’est celui du feedback. Oui, les managers savent vous dire quelles sont les étapes pour faire un bon feedback, qu’il soit positif ou constructif. Mais pour autant, les font-ils ?


Pour moi, la formation de demain devra impérativement lier cognition et émotions sous peine de voir perdurer les impasses actuelles entre ce que je sais mais que je suis incapable de mettre en application pour différentes raisons. Si je le regarde sous un angle d’accompagnement du changement, oui le collaborateur sait faire ; peut-être même que grâce à sa formation, il se sentira en capacité de leur faire. Mais en a-t-il envie ? En a-t-il les moyens ?

Côté digital, nous n’échapperons pas à une mise à disposition de plus en plus massive de ressources digitales, permettant aux départements Formation de proposer :

  • Des bibliothèques numériques, accessibles sur tout device – via App, LMS, responsive design, etc.
  • Des dispositifs Blended ou phygitaux, intégrant des Actions de Formation En Situation de Travail
  • Des ressources s’appuyant de plus en plus sur la réalité virtuelle ou augmentée

Avez-vous un conseil à donner aux décideurs RH sur leur politique de formation pour la rendre efficace face aux enjeux à venir ?  

La première étape, qui peut paraître évidente mais souvent oubliée, c’est de connaître les enjeux de votre organisation pour demain.

Trop souvent les actions formation sont pensées en réaction à… alors que nombre d’entre elles pourraient nourrir la transformation des organisations, dans une vision systémique et d’organisation apprenante (qui ne se résume pas à mettre un LMS à disposition des collaborateurs !)

Je suis aussi convaincue que les formations de demain devront nourrir la RSE de l’entreprise et plus seulement sa performance économique.

Elle devra également contribuer à renforcer les forces d’un collaborateur. Trop souvent, la formation cherche à combler les faiblesses.

Ce qui me paraît important, c’est que se former n’est pas seulement cognitif. J’entends beaucoup parler des enjeux d’ancrage mémoriel. Certes. Mais comment développons-nous la capacité d’initiative des collaborateurs et leur capacité de prise de décision ?


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