Interview de la responsable Formation des « 3 Brasseurs », Marie-Angélique Derudder.
Interview réalisée par Willem Rodier, cofondateur de flowbow.
Marie-Angélique, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis responsable formation pour l’enseigne Les 3 Brasseurs France depuis bientôt 11 ans.
J’ai un parcours RH généraliste, je me suis spécialisée assez rapidement en formation lors d’une alternance que j’ai effectuée à l’époque chez Castorama où je suis restée 3 ans.
J’ai travaillé ensuite dans un OPCA où j’étais conseillère entreprise. Mon rôle était d’accompagner les entreprises de moins de 50 salariés dans le financement de leurs projets de formation et dans la gestion de leur budget.
Finalement, je suis arrivée en 2010 aux 3 brasseurs où beaucoup de choses étaient à créer au niveau du service RH. Nous étions 3 à l’époque dans ce service. Toute la politique de développement humain a donc été mise en place ces 10 dernières années et en parallèle l’entreprise s’est développée et a beaucoup changé. Aujourd’hui je gère le périmètre France pour tout ce qui est : onboarding, formation et développement des compétences. Cela passe par la gestion du plan de développement des compétences pour le réseau et pour les services supports, et tout ce qui est lié à l’accompagnement individuel (Coaching, training managériaux, réorientations…) Enfin, j’accompagne au quotidien la transformation de l’entreprise en développant notamment le collaboratif.
Au quotidien, je suis accompagnée par Richard Honoré qui est chargé de formation opérationnelle cuisine. Richard est un ancien chef de cuisine qui travaillait auparavant chez un franchisé 3 brasseurs ce qui rend son profil extrêmement riche pour nous et pour la stratégie que nous sommes en train de mettre en place sur la partie cuisine.
Peux-tu nous décrire qui sont les 3 brasseurs ?
Les 3 brasseurs ont été créés en 1986. Le tout premier restaurant se situe juste en face de la gare Lille Flandres. On se considère comme une famille de Brasseurs, Restaurateurs. Le cœur de métier des 3 brasseurs est évidemment la restauration de type brasserie, mais aussi la bière puisque nous sommes l’une des seules enseignes de restauration en France à proposer à la fois la restauration, et la production de bière sur place. Aujourd’hui dans chacun de nos restaurants nous avons un brasseur et les bières que vous pouvez déguster sont brassées sur place, ça fait vraiment partie de l’ADN de l’entreprise.
Sur le réseau Français, composé de restaurants intégrés et de Franchisés, nous avons aujourd’hui 2000 collaborateurs. Nous sommes également présents au Canada avec une vingtaine de restaurants, et nous avons également 2 restaurants au Brésil.
Est-ce que tu peux nous parler des conséquences de la crise sanitaire que l’on traverse sur l’activité des 3 brasseurs ?
Les conséquences sont fortes chez nous puisque cela fait maintenant plusieurs mois que nos restaurants sont fermés. Le premier confinement a été compliqué en mars dernier, nous avons tout fait pour accompagner les équipes et nous avons essayé de profiter de ce temps pour se remettre en question, innover, mettre en place des projets qui étaient en stand by… donc ça a été une période finalement très dynamique, où tout le monde a voulu apporter sa pierre à l’édifice. C’est toujours le cas mais d’une façon un peu différente aujourd’hui parce que nous avons été très ébranlés l’année dernière.
Nous avons mis en place beaucoup de choses afin de respecter le protocole sanitaire demandé par l’état, notamment pour le respect des gestes barrières, la distanciation sociale, les nettoyages… Nos équipes ont dû faire beaucoup d’efforts et ont dû prendre rapidement de nouveaux réflexes pour protéger nos clients et se protéger eux même.
Ce qui est sûr c’est que lorsque l’on a pu ouvrir de nouveau nos restaurants, nos clients étaient au rendez vous.. Nous n’avons pas retrouvé les chiffres d’affaires que nous avions avant la crise, mais nous avons eu beaucoup de signaux positifs, ce qui nous réconforte pour l’avenir. Et puis malheureusement, nous avons été frappés une nouvelle fois par la crise et par un nouveau confinement en novembre.
Depuis la crise nous avons commencé à tester de nouveaux métiers qui n’existaient pas chez nous comme la vente à emporter et le click and collect. L’entreprise est en pleine transformation, sur le terrain et dans les services supports afin de s’adapter et de préparer l’avenir.
Nos établissements sont habitués à accueillir un flux client important et nous avons environ 40 collaborateurs par restaurants donc il est vrai que la vente à emporter et le click and collect que nous avons mis en place en urgence n’étaient pas toujours très rentables, c’est l’une des raisons qui nous a fait prendre la décision de fermer les restaurants pendant le deuxième confinement.
En ce moment, nous sommes en train de réouvrir certains restaurants en livraison et click and collect et nous aimerions que ce soit le cas petit à petit pour l’ensemble du réseau, afin de se remettre dans la dynamique.
Si on se focalise sur ta fonction, comment cette crise et ce contexte ont impacté tes priorités, tes enjeux, ton métier au quotidien… ?
L’année dernière, cela a remis en cause tout le plan de formation. Nous avons dû décaler toutes les sessions qui avaient été mises en place, parce qu’il est vrai que la formation c’est aussi beaucoup d’organisation et de logistique.
Nous avons aussi tout de suite créé des contenus de formation pour pouvoir accompagner le nouveau protocole d’hygiène et former le plus rapidement possible 100% des collaborateurs.
Tout cela a été fait en e-learning, avec quelques vidéos faites par Richard en restaurants, notamment sur le lavage de main renforcé, le port du masque, les produits de nettoyage….
Ça a été une période un peu compliquée car les informations venaient au compte goutte. Nous avons dû être agiles et former sur des sujets tels que l’utilisation du nouveau logiciel pour la partie vente à emporter, la façon de travailler avec les entreprises de livraison, le choix et l’utilisation des contenants de VAE…
Les modules concernant l’hygiène renforcée étaient à destination de 100% de la population, et d’autres modules toujours en e-learning à destination de l’encadrement afin de manager au quotidien ces nouveaux protocoles et modes de fonctionnement.
Notre objectif était de communiquer un maximum et d’être transparent avec nos équipes sur ce que l’on mettait en place, tout en gardant un côté fun et décalé qui est l’ADN de l’enseigne. Par exemple, chez nous le mètre de distanciation c’est le mètre de bière.
Au premier confinement, nous avons également mis en place un accompagnement de 100% des managers avec l’aide d’un coach sous forme de classes virtuelles pour faciliter la reprise des équipes et détecter des situation à risque
Avant cela, nous avions du digital, mais principalement pour l’intégration, nous avions tendance à faire énormément de choses en présentiel. Nous déplacions les équipes en région ou au national pour les former. Le présentiel ne disparaîtra pas car il apporte une dynamique et des échanges différents, notamment plus informels mais la situation nous fait réfléchir à la mobilité des collaborateurs.
Est ce que vous aviez recours au e-learning avant cette crise sanitaire ? Est ce tu avais un LMS ?
Oui ! On fait du e-learning depuis 2010, je l’ai mis en place quand je suis arrivée. A l’époque, de façon un peu plus artisanale, parce que c’était surtout du quizz avec des vidéos. On a un vrai LMS déployé auprès des équipes depuis 2017 qui est 360Learning.
Sur cette première phase, quelles ont été les réussites et les échecs (s’il y en a eu) ?
Nous avions l’habitude de créer des modules et contenus pérennes, c’était la première fois que l’on faisait des modules e-learning pour répondre à un besoin immédiat et qui évoluait chaque semaine. Notre LMS nous a permis d’être agile et de pouvoir très vite diffuser du contenu et former les équipes.
On peut dire sur cette première phase que cela a fonctionné puisque nous avons eu 90 % de taux de participation contre 40% en temps normal. Les collaborateurs étaient en attente de communication de l’enseigne, il y avait un fort besoin de garder le lien et de connaître les nouvelles règles du jeu donc je pense qu’ils sont venus assez spontanément sur la plateforme. Une des bonnes pratiques par exemple a été de relancer toutes les semaines à la fois l’encadrement et les collaborateurs à travers des emails sympas où on réaffirmait le sens et l’importance de tout ça.
À l’époque, nous avons énormément animé notre plateforme, qui est également notre réseau social d’entreprise. Chaque jour, il y avait quelque chose : le lundi c’était un portrait de collaborateur du siège par exemple.
Il y a eu aussi des actions du service marketing pour impliquer les collaborateurs dans des vidéos qui étaient diffusées sur les réseaux sociaux. Des vidéos dans lesquelles on voyait les collaborateurs applaudir les soignants, des vidéos pour les clients… Nous avons vraiment essayé d’animer au quotidien autour de sujets comme la bière, la cuisine, la culture d’entreprise… pour garder le contact. Nous avons même mis en place un challenge ludique sous forme de parcours, sur la plateforme, pour impliquer les équipes.. Nous n’avons jamais eu autant de connexions ! Les collaborateurs recevaient des notifications dès qu’il y avait du nouveau sur la plateforme.
Tout ça rend le chemin vers le module beaucoup plus facile car lorsque le collaborateur se connecte, la première chose qu’il va voir c’est “vous avez du travail à finir” s’il y a des modules qu’on lui a attribués et qui ne sont pas faits.
Le seul bémol que nous avons noté est que c’était peut-être un peu trop, car en parallèle nous avons aussi créé des groupes WhatsApp pour que les directeurs puissent communiquer directement avec leurs collaborateurs. Il y avait donc du mouvement sur WhatsApp, sur la plateforme et des collaborateurs nous ont dit au bout d’un moment qu’il y avait peut-être trop de notifications, donc nous avons ralenti.
Finalement, toute la difficulté a été de créer du contenu sur quelque chose qui était mouvant, qui bougeait tous les jours, donc qu’il fallait mettre à jour régulièrement. Je pense que ce qui a manqué le plus dans ce projet c’était le lien avec les équipes terrain parce que malgré le contenu digital régulier, il manquait ces échanges entre pairs de façon non virtuelle.
Nos restaurants étaient encore fermés dans cette phase de création de contenus.
Est-ce qu’une partie synchrone avec des classes virtuelles ou des échanges en direct auraient pu à ce moment-là t’aider sur ce point ?
Je pense oui ! Et je pense que ça aurait eu un double effet puisque ça aurait pu aussi rassurer les équipes et favoriser le partage d’idées.
Entre ces deux confinements quels étaient les enjeux ?
Nous avions des collaborateurs qui devaient intégrer l’enseigne et nous ne pouvions plus les former dans nos restaurants, il a donc fallu trouver des solutions. Nous avions déjà des projets de digitalisation, nous voulions formaliser les contenus un peu plus théoriques liés au métier (RH, gestion, marketing…). Donc ça a accéléré les choses parce qu’il fallait absolument que ces contenus soient disponibles pour que les personnes puissent continuer de se former même lorsque les restaurants sont fermés ou en activité restreinte. Le projet est toujours en cours.
C’était compliqué d’imposer à certains collaborateurs d’avoir des employés à former sur le terrain vu le contexte. Et c’était également inenvisageable d’envoyer ces personnes à l’autre bout de la France, dans des hôtels, dans les transports en commun… Donc cela a accéléré notre volonté d’avoir un vrai catalogue de formations digitales métier accessibles avec en l’occurrence un mix synchrone et asynchrone afin de favoriser les échanges. Un de nos objectifs dans tout ça c’est de créer encore plus de lien avec les personnes intégrées mais d’une manière différente.
A la reprise , il était important pour moi de pouvoir continuer de proposer des formations aux salariés et de les accompagner. Il y a donc beaucoup de formations que nous avons transformées en formations à distance, avec par exemple une formation “communication positive” qui était avant en 100% présentiel.
Nous nous sommes vite rendu compte que cela faisait beaucoup de bien aux équipes, et c’est d’ailleurs pour moi la deuxième vocation de la formation. Ce n’est pas que de l’acquisition de compétences, ce sont aussi des moments d’échanges et de partage.
Le confinement aura eu le mérite d’accélérer la mise en place de beaux projets que ce soit en formation ou ailleurs dans l’entreprise. En ce moment on est vraiment dans une phase de “test and learn”, on ose beaucoup plus qu’avant.
Il y avait des collaborateurs qui restaient un peu frileux quant au e-learning et petit à petit, je trouve que les gens se connectent plus, sont plus demandeurs, même sur la partie franchise.
Comment se passe l’onboarding des collaborateurs ? Est-ce que tu as un exemple concret de digitalisation sur ce sujet?
Chez nous ce qui a beaucoup évolué c’est notamment au niveau des moniteurs, c’est-à-dire des formateurs internes. Aujourd’hui dans l’univers de la restauration, environ 90% des choses s’apprennent sur le terrain et s’expérimentent.
Ces moniteurs sont des collaborateurs, experts dans leur métier, pour lesquels on a détecté une appétence pour la pédagogie, l’accompagnement… Ces personnes sont volontaires, identifiées par leur manager et on les valide avec le service RH pour qu’elles puissent suivre un parcours de formation pour apprendre les bases de la pédagogie, la transmission de savoir…Ces moniteurs continuent quotidiennement d’exercer leur métier et intègrent uniquement des personnes du même niveau hiérarchique et du même métier.
Il y a des moniteurs dans tous nos restaurants (serveurs, cuisiniers..) et il y a dans certains restaurants ce que l’on appelle des moniteurs managers sur les postes d’encadrement.… A chaque fois que l’on intègre un nouveau collaborateur, il est intégré et accueilli par un moniteur.
Jusqu’ici, tout reposait sur les moniteurs et nous nous sommes rapidement rendu compte que quelque chose ne fonctionnait pas en terme d’évaluation car le moniteur nous disaient rarement que la personne était mal formée étant donné que tout reposait sur lui et nous avions peu d’évaluation concrète pour savoir si la personne était compétente ou non sur son poste.
Donc la décision qu’on a prise c’est de mettre en place des parcours en blended où tout ne repose pas sur le moniteur. Le moniteur reste tout de même sur le terrain pour accompagner la personne, répondre à ses question, évaluer les softs skills.
Ce qu’on compte faire à la réouverture c’est d’accompagner ces parcours plus théoriques avec du synchrone en distanciel par des experts métier qui répondent aux questions des collaborateurs. Encore une fois, l’impact de la crise a accéléré la nécessité d’avoir recours à la digitalisation pour ces sujets.
Comment évalues-tu tes collaborateurs grâce à ce parcours ?
En début de parcours, il peut y avoir une auto évaluation pour que les personnes puissent évaluer leur niveau de base avant de démarrer le parcours. L’idée est aussi de leur faire comprendre leur niveau de compétences sur le sujet et leur permettre de se rendre compte de certaines lacunes, ce qui va les pousser à se former sur les différents modules qu’on leur met à disposition.
Dans les modules de formations on a des évaluations, donc l’idée c’est de pouvoir étudier de plus en plus finement ces évaluations, et d’évaluer le niveau du réseau pour pouvoir mettre en place des plans d’action à l’avenir. Cela peut être sur tout type de sujet comme par exemple la gestion des temps et des plannings.
Il y a également toujours une évaluation qui est faite par le moniteur terrain.
Peux-tu me parler d’une ou deux difficultés que tu as eu sur la digitalisation de ce parcours ?
La difficulté sur des sujets comme cela c’est vraiment d’essayer de rendre le plus accessible possible les contenus puisque ce sont parfois des sujets lourds. Il faut à la fois donner du sens en contextualisant mais aussi ne pas s’éparpiller afin de ne pas perdre le collaborateur qui préfère être sur le terrain que devant son ordinateur.
Une autre difficulté est de comprendre ce qu’il se passe sur le terrain et où sont les réels besoins de formation. Nous avons souvent des croyances qu’il faut confronter avec les parties prenantes pour viser juste.
Ce qu’il faut éviter c’est créer des modules seul. Il faut bien s’entourer et essayer de collaborer un maximum avec les collaborateurs qui vont les utiliser et les experts métiers.
Un dernier mot ?
Un des enjeux de l’année est le lancement de cours de cuisine en live (avec toute une régie) pour former les équipes à nos recettes, notre carte et favoriser l’échange. Grâce à cela nous allons pouvoir former sans déplacer les équipes et diffuser les bonnes pratiques rapidement et plus facilement dans les restaurants. Cet outil ouvre le champ des possibles pour l’avenir car il ne se limitera pas à la cuisine, tout est envisageable.